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Le livre préféré de Jérôme Chantreau

J'ai demandé à Jérôme Chantreau quel était son livre préféré et voici sa réponse. 

 

Un livre qui m'a marqué? Vaste question. Si je ne répondais pas cela, je ne serais ni lecteur ni écrivain.

Comme je me trouve dans la maison de campagne familiale, près de la bibliothèque de campagne, donc, c'est là que je trouverai le livre.

J'ai d'abord relu ma bibliothèque, c'est à dire la tranche, les titres. On y rencontre, entre autres, Michel Déon (qui trouve dans les bibliothèque la meilleure des sépultures), John Le Carré et des oeuvres licencieuses qui rappellent qu'internet n'a pas toujours existé. 

J'aurais pu dire En avant la moujik! de San-Antonio, le livre qui m'a convaincu que lire procure du plaisir et que c'est même son principal objectif. 

Ce fameux livre pourrait être aussi Les Bananes de Konigsberg de l'indépassable Alexandre Vialatte. Ou Un Roi sans divertissement de Giono qui a porté le polar au rang de chef-d'œuvre littéraire. 

Mais cela sera Le Lotissement du ciel de Blaise Cendrars.

 

Ce roman a ébloui mes quinze ans. J'étais un jeune poète qui faisait du Ski nautique derrière Rimbaud, Baudelaire, Nerval. Le roman me semblait être chose longue et ennuyeuse (sauf ceux de San-A) et qui devait être réservée aux petits malheureux qui avaient raté leur carrière de poète maudit. Cendrars, qui avait tous les dons, me fit la démonstration du contraire. 600 pages de poèmes en prose, d'encyclopédie, d'hagiographie à la façon de La Légende dorée, de précis d'ornithologie, de roman d'aventures, et surtout ce stupéfiant lexique qui, chez Cendrars, se charge de vous offrir votre ticket en cabine de Transatlantique, à la place du mort en Alfa Roméo, dans un wagonnet de chercheurs d'or ou en first class du Transsibérien. 

Cendrars, qui prétendait que la Nationale 10 reliait Paris, Bordeaux, Bayonne, puis traversait l'Espagne, embarquait à Porto où elle se poursuivait, suivant les alizés, jusqu'à Buenos Aires, cet homme-là n'avait que faire des frontières. Celles des genres littéraires encore moins que celles des pays. Poésie, roman, fable... Que rien ne t'arrête!...

 

Il m'a montré autre chose: que le souci de la vérité est une occupation de notaire. J'entends trop souvent que l'on se demande (en se pinçant le nez) si tel récit est autobiographique, et que l'on suspend son désir de le lire à la réponse. Cendrars n'a cessé de nous apporter la preuve que la littérature se situe dans un monde extérieur à celui des codes et des clous de géomètres. La vie? Ma vie? Quelle importance... Vous voulez savoir si ce que je raconte est vrai? Alors courrez après moi si vous le pouvez. Mais les plus sages se contenteront de lire et de voyager.

Il m'arrive souvent de repenser au Le Lotissement du ciel et, quand je suis à la campagne, de le reprendre par n'importe quel bout. 

Il parle encore, sur un ton sûr, de poésie, de beaux mensonges et de personnages trop grands, trop fous, trop beaux. Il rêve à des choses impossibles et montre le chemin pour les atteindre. 

Comme écrire un roman.

 

Crédit photo : Jérôme Chantereau 

 

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