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Fribourg Canaille et Michel Niquille

1. La Frontière entre Réalité et Fiction Criminelle

Vous évoluez dans le genre du polar et des histoires noires. Dans quelle mesure l'ambiance et les situations dépeintes dans "Fribourg Canaille" sont-elles inspirées de votre connaissance du tissu social fribourgeois (potentiellement des anecdotes, des observations ou même votre expérience en tant qu'écrivain public/fiduciaire) ? Y a-t-il un message sous-jacent ou une critique sociale que vous souhaitiez faire passer ?

Mon expérience et mes connaissances acquises durant mes activités dans le secteur social à Fribourg sont bien sûr source d’inspiration. Ajoutée à une imagination débordante, cette alchimie crée le scénario de mes histoires. Le message est clair : mettre en lumière des gens sans grade, sans grande ambition, si ce n’est celle de sortir « du lot », avec souvent des résultats peu reluisants. Cette fresque sociale est souvent occultée par les histoires de celles et ceux qui ont réussi ou qui croient l’avoir fait. Sans envergure et souvent insignifiantes, beaucoup de personnes laissent quand même une trace, puisqu’on les retrouve dans mes romans ou mes nouvelles. La fiction est donc vertueuse.

2. L'Usage de l'Ironie et de l'Irrévérence

Vous utilisez un ton irrévérencieux et de l'ironie pour parler de sujets sombres. Considérez-vous cette légèreté stylistique comme un mécanisme pour rendre le cynisme et la noirceur plus digestes, ou est-ce une manière de défier la moralité et les conventions de la bourgeoisie fribourgeoise ?

Un sujet a beau être sombre, il a besoin de lumière pour garder l’espoir d’un retour « à mieux ». L’ironie et l’irrévérence en sont les ingrédients et le poil à gratter dans ses situations tragiques. Est-ce un style ? En tout cas, le mécanisme nourrit mon style qu’on qualifie parfois de direct, acéré, sans fioritures, sans garnitures. J’ai dit un jour que je ne serai pas le Pierrot Ayer de la littérature policière fribourgeoise. Quant aux conventions de la bourgeoisie en général, elles ont déjà été décrites par Luis Bunuel, cinéaste, dans le film Le charme discret de la bourgeoisie. Tout a été dit, je ne vais pas en rajouter.

3. Le "Canaille" et le Territoire Littéraire

Envisagez-vous ce recueil comme une tentative de créer un territoire littéraire unique à Fribourg, à l'image des polars qui définissent le "noir" d'une ville (par exemple, le polar marseillais) ? Voulez-vous que "Fribourg Canaille" inaugure une façon particulière de raconter la ville ?

L’ambition de créer un univers littéraire et romanesque unique de la Ville de Fribourg est palpable avec ce 3e opus de la Collection POING NOIR. Poker d’As sur Pérolles et Coucherie au Guintzet ont ouvert la voie et Fribourg Canaille prouve que le terreau est fertile. La suite ? J’ai encore des titres en réserve dans ma besace, mais je reste modeste, sans pour autant faire appel à textes. Je crains de dénaturer l’approche et le style de mes lieux et personnages avec d’autres plumes. Rien n’est fermé, mais mon côté loup solitaire est en embuscade.

4. Détails de Construction des Récits

Chacune des trois histoires (nouvelles) aborde un aspect du "Canaille" de Fribourg. Y a-t-il un fil conducteur thématique ou moral qui relie spécifiquement ces trois récits, au-delà du simple décor fribourgeois ? Comment avez-vous décidé du découpage et de la progression émotionnelle de ce recueil ?

Le fil conducteur est la rencontre de personnages que rien ne relie au premier abord, avec l’omniprésence de l’inspecteur Ferragut. Malgré sa suffisance et sa nonchalance, il est redoutable dans ses à prioris et sa manière d’enquêter. Les décors et ambiance sont importants et je pars souvent de petites histoires insignifiantes et absurdes dans un lieu donné, épicentre du récit. Le Buffet 2e classe, le Café des sports et la Charcuterie Golay sont des lieux emblématiques pour des histoires funestes, cruelles et même tendres. L’émotion est à son comble quand les personnes se trouvent dans des situations burlesques : Mitch et Louise sur le bateau de la CGN à Montreux, Samuel Tenz et Emag dans la mousse de la forêt d’Onnens et bien sûr Fonzi dans les chaires généreuses de la Grosse Lulu au Lion d’Or. Il n’y a pas de découpage proprement dit, sauf que ça commence toujours de la même façon, gentil, et que ça se termine souvent de la même manière, méchant.

5. L'Héritage des Autres Romans/Polars

Après avoir écrit des polars plus longs comme "La Tête dans la sciure" ou "Du sang sur le Moléson", comment l'écriture de ces petites histoires noires (dans la Collection POING NOIR) a-t-elle différé en termes de méthode et de satisfaction créative ? Est-ce un exercice de style plus intense ou plus libérateur ?

L’écriture d’un roman comme LA TETE DANS LA SCIURE est une aventure longue et fastidieuse. Au- delà de l’intrigue criminelle, il y a des évènements annexes, des descriptions, de nombreux dialogues et bien sûr une temporalité à respecter. Avec mes petites histoires, on entre plus vite dans le récit, l’histoire gagne rapidement en intensité avec un objectif défini : écrire de 38'000 à 43'000 signes. Tout doit tenir dans cet espace. Ma satisfaction est plus intense que l’écriture d’un roman policier. Le synopsis tient en quelques mots, et je me sens plus proche de mes personnages et décrire les ambiances est jubilatoire ; parler du Buffet 2e classe et du Café des sports, c’est comme s’y retrouver attablé, avec une bière et un cigare (autorisé à l’époque de mes récits) et observer ce petit monde, gai, joyeux et parfois sombre.

 

 

 

 

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