Entretien avec Jan Länden et son thriller Vor
Votre nouveau thriller, "Vor", s'ouvre sur deux scènes de crime d'une violence froide à Genève. Qu'est-ce qui vous a incité à ancrer cette fois l'horreur directement au cœur de la ville et à choisir un point de départ aussi viscéral pour cette nouvelle intrigue ?
R : J’avais envie, cette fois, de confronter le lecteur à une violence qui ne se cache plus dans les marges, mais qui surgit au centre même de Genève. Cette cité de Calvin réputée sûr, marquée par son ordre, sa précision, son équilibre — donc un décor fascinant pour y faire éclater le chaos. Ce contraste entre la perfection apparente et la brutalité du réel m’intéressait particulièrement.
Les deux scènes d’ouverture ne sont pas là pour le choc gratuit : elles posent d’emblée la question de ce que cache une société policée quand on soulève la surface. C’est une manière de dire que l’horreur n’est jamais ailleurs — elle peut exister au cœur même de ce qu’on croit maîtriser.
Leena Fournier est de retour, plus déterminée et vulnérable. Après l'avoir mise à rude épreuve dans "Rapimentu", quelle est l'évolution psychologique majeure qu'elle traverse dans "Vor", et en quoi ce nouveau défi la pousse-t-elle dans ses derniers retranchements ?
R : Dans Rapimentu, Leena a été brisée, physiquement et moralement. Les épreuves qu’elle y a traversées représentent en quelque sorte la goutte qui a fait déborder le vase : tout ce qu’elle avait enfoui, contrôlé ou nié jusque-là remonte désormais à la surface. Dans Vor, elle n’affronte plus seulement un ennemi extérieur, mais les séquelles intérieures de ce qu’elle a vécu.
L'un des corps est découvert écorché vif au pied du Jet d'eau, un lieu emblématique. Est-ce que le choix des lieux et l'intensité des scènes de crime sont un moyen de commenter ou de dénoncer une montée de la violence dans les zones d'ombre de la criminalité suisse ?
R : Ce n’est pas tant une volonté de ma part de commenter la violence en Suisse que celle, dans Vor, du tueur lui-même de marquer les esprits. Le choix du lieu – le Jet d’eau, symbole de Genève – traduit sa volonté d’exposer sa violence, presque de la mettre en scène.
En revanche, à travers mes trois romans, je m’attache effectivement à pointer du doigt une société en mutation. J’essaie de rester au plus près du réel, sans fard, pour refléter la complexité et parfois la brutalité de la situation actuelle. Mon écriture se veut réaliste, presque documentaire par moments, parce que la fiction, à mon sens, doit aussi savoir regarder le monde en face.
Vous utilisez votre expertise du grand banditisme international pour donner un réalisme frappant à vos romans. Quelle part de votre expérience professionnelle avez-vous injectée dans le scénario de "Vor", et où se situe la frontière entre la fiction nécessaire à l'intrigue et la réalité que vous avez observée ?
R : Disons que Vor puise forcément dans ce que j’ai vu, entendu et vécu durant mes trente années passées à lutter contre les différentes formes de banditisme international et au sein de la brigade criminelle. Quand on a côtoyé ce milieu d’aussi près, certains réflexes, certaines images, certaines vérités vous restent.
Je cherche toujours à rester le plus réaliste possible, à donner au lecteur le sentiment d’être dans la scène, au plus près de la tension. Quant à la frontière entre la fiction et la réalité… disons qu’elle est parfois plus floue qu’on ne le croit. Et je préfère qu’elle le reste.
On dit que ce thriller explore les "zones d'ombre de l'Europe criminelle". Sans dévoiler l'intrigue, pouvez-vous nous indiquer le type d'organisation criminelle ou le thème sociétal que vous avez choisi d'explorer en profondeur dans ce troisième volume ?
R : Dans Vor, trois affaires s’entremêlent. La première plonge dans l’univers des Vor v Zakone, une organisation criminelle d’Europe de l’Est à la structure aussi codifiée que redoutable.. La seconde, plus intime, touche à un sujet dont je préfère ne pas trop parler pour ne pas dévoiler l’intrigue. Quant à la troisième, elle aborde l’implantation du narco-banditisme en Suisse, une réalité qui gagne du terrain. Ces trois fils narratifs reflètent les mutations profondes de la criminalité européenne, entre tradition et nouvelles formes de pouvoir.
Après trois thrillers acclamés, comment gérez-vous le syndrome de la "suite" et l'attente des lecteurs pour les aventures de Leena ? Y a-t-il une pression pour se renouveler tout en restant fidèle à l'ADN qui a fait le succès de vos romans précédents ?
R : Honnêtement, je ne ressens pas de pression particulière. L’écriture reste avant tout pour moi un moment de détente et d’évasion, une manière de décompresser après des années passées au cœur du réel. Même si mes romans s’inspirent directement de mon quotidien professionnel, la fiction m’offre une distance, une respiration. Je ne pense donc pas en termes d’attente ou de “suite” — je laisse simplement Leena évoluer naturellement, au rythme de ce qu’elle a encore à dire.